La nuit des assises de justice à Guirbaden

 

L’histoire de la destruction du château de Girbaden est obscure. Quelques auteurs l’imputent aux Suédois, qui occupèrent l’Alsace pendant la guerre de Trente Ans et ruinèrent la plupart de nos châteaux ; d’autres auteurs l’imputent à des soldats lorrains, qui, dirigés par un valet du château, s’en emparèrent à la fin du XVIIe siècle, le ravagèrent et en tuèrent tous les habitants. Le peuple tient pour cette dernière opinion et rattache à ces faits la tradition de la terrible nuit des assises de justice, que les esprits du château tiennent tous les ans, à la Toussaint.

Les habitants des localités du pied de la montagne racontent ceci : à minuit le Vogt (burgrave ou bailli) sort de son tombeau ; il parcourt les chambres et les corridors ; il appelle les habitants et les excite à la vengeance.  Quatre serviteurs descendent dans un caveau, aujourd’hui presque écroulé et remontent le cercueil de la Comtesse de Girbaden. Les esprits de tous les habitants, qui vivaient au château de son temps se réunissent autour de son cercueil. Le Vogt du bourg, les yeux étincelants dans leurs orbites creusées, ses blessures fraîches toutes saignantes, préside l’assemblée. On traîne sur la place le valet traître revêtu d’une chemise rouge. Il tient dans sa main la clef de la porte par laquelle il a introduit dans le château les soldats lorrains.

Le tribunal ouvre séance. Le traître subit l’interrogatoire ; il cherche à se défendre ; l’assemblée le déclare coupable. La comtesse, restée jusque-là immobile dans son cercueil, interpelle le Vogt du burg ; d’une voix claire elle lui dit : « Venge la trahison ! »

Aussitôt le valet est précipité sur le sol ; on sonne la cloche d’alarme ; tous les assistants se prennent par la main et tournent autour de lui en une farandole effrénée ; il est piétiné sans merci… tout disparaît aux premières heures du jour.

Ces assises de justice se renouvellent toutes les nuits pendant une semaine entière ; plus d’un forestier affirme avoir entendu les cris affreux des esprits, dominés par le son déchirant de la cloche d’alarme.